Ça y est, les Jeux olympiques 2024 sont officiellement lancés. Vendredi soir, le monde entier avait les yeux rivés sur Paris où la cérémonie d’ouverture de cet événement titanesque en a mis plein les yeux à plus d’un·e. Derrière les costumes, les danses et les paillettes se cachent pourtant des mesures bien moins réjouissantes. Depuis sa candidature en 2015, la France a pris une série d’initiatives pour s’assurer d’être vue sous son meilleur jour le long de la compétition, quitte à ce que ce soit au détriment de ses propres citoyen·ne·s et de leur espace public. Réquisition de logement étudiants, réservation de bandes de circulation, augmentation des prix des transports, barrières, QR code, vidéosurveillance algorithmique, nettoyage social et chute de l’horeca. Découvre le revers de la médaille de ces Jeux olympiques 2024.
« Panem et circenses », littéralement « du pain et des jeux ». Depuis la Rome antique, le poète satirique Juvénal dénonçait le désintérêt du peuple pour la politique aussi longtemps que celui-ci était nourri et diverti. À Paris, les organisateur·rice·s des Jeux olympiques 2024 semblent vouloir tester les limites de cet adage…
Nous y sommes. Neuf ans après l’avoir rêvé, la « ville lumière » accueille ses Olympiades. Partage, ouverture et participation. Ces dernières semaines, la gymnastique intellectuelle pour parvenir à repérer les valeurs apposées à cette soi-disant grande fête populaire ne passe pourtant pas pour de nombreux Parisien·ne·s. Difficile de leur en vouloir tant le contraste entre le récit de ces Jeux et les mesures prises pour leur organisation est saisissant.
Une appropriation de l’espace public par le privé ? La réquisition de plus de 3.000 logements étudiants en octobre dernier laissait déjà présager le pire.Pousser un public déjà fragilisé par une série de politiques contraignantes à faire de la place… « À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles » arguaient certain·e·s. On comprend que ces petits accrocs se justifieraient par la manne d’or accompagnant l’organisation d’un tel évènement et dont toutes les strates de la société bénéficieraient. Vraiment ?
Tel un calendrier de l’Avent, le décompte des quinze derniers jours avant le début des Jeux Olympiques est accompagné de son lot de surprises pour les Parisien·ne·s. La première est à destination des automobilistes : du jour au lendemain, 185 kilomètres de routes d'Île-de-France sont réservées pour toute la durée des Jeux olympiques et paralympiques. Attention à ne pas se moquer trop vite si on est usager·ère des transports en commun : le prix du ticket passe de 2,15 € à 4 € dans cette même période alors même que le dossier de candidature prévoyait que« tous les détenteurs de billets pourraient voyager gratuitement sur l’ensemble du réseau d’Île-de-France. »
Et les piéton·ne·s alors ? Celleux qui souhaitaient s’aventurer dans le centre historique de Paris ont eu la mauvaise surprise de voir celui-ci transformé en véritable bunker. Au total, 44.000 grilles et barrières ont été installées pour restreindre les accès au centre de la ville et aux abords de la Seine. Les plus téméraires se voient arrêté·e·s à des check-points où un QR code leur est demandé afin de poursuivre leur chemin. Ce sésame dont le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, démentait en mars dernier l’obligation pour les piéton·ne·s. Imbroglio ou volte-face, c’est selon…
Lorsque l’espace public parisien n’est pas menacé lors de ces JO par l’intrusion de grilles et de QR code, il l’est par l’instauration de la vidéosurveillance algorithmique (VSA). Un dispositif inquiétant dont Amnesty International alerte sur les nombreux risques pour nos droits humains. Concrètement, il s’agit de caméras accompagnées d’intelligence artificielle et d’algorithmes permettant de détecter automatiquement des comportements dits suspects. Premier pays de l’Union européenne à légaliser ce dispositif, la France a profité de ses Jeux pour voter cette loi en procédure accélérée et utiliser ces « caméras augmentées » à titre expérimental. Avant de les pérenniser ?
Parmi les risques soulignés par Amnesty se trouve celui de stigmatiser des groupes déjà discriminés. Les personnes sans-abri en font bien entendu parti. Mais pour cela, il faudrait encore qu’il en reste à Paris. Entre avril 2023 et mai 2024, plus de 12.500 sans-abri ont été expulsé·e·s d'Île-de-France, soit 38% de plus par rapport à la période 2021-2022. Plus de 80 associations et ONG françaises formant le collectif « Le revers de la médaille » dénoncent un véritable « nettoyage social » en prévision des Jeux olympiques et une invisibilisation des sans-abris pour cacher une réalité sociale et s’offrir une bonne image à l’international.
L’horeca paye aussi le prix de cette invasion du pouvoir public dans la gestion de l’espace du même nom. Les commerçant·e·s et restaurateur·rice·s déplorent en effet une baisse de fréquentation sans précédent. Jusqu’à 30% de baisse de leur chiffre d'affaires par rapport aux années précédentes selon les organisations représentant restaurateur·rice·s et hôtelier·ère·s. Sur la place du Trocadéro, la fréquentation de certains établissements a chuté de 70%. Il faut dire que les terrasses avec vue sur grillages et barrières ne sont pas des plus attirantes…
Alors, à quoi bon ? Donner l’illusion d’une ville parfaite au monde entier mais au prix de la liberté de ses propres citoyen·ne·s ? Ces dernier·ère·s n’étant même pas invité·e·s à des Jeux auxquels iels contribuent financièrement à hauteur d’une fourchette entre 3 et 5 milliards d’euros. Comment prétendre le contraire au vu des prix exorbitants auxquels étaient vendus les billets d’entrée à la cérémonie d’ouverture ? La question se pose : une vie normale dans la ville et son espace public n'est-elle pas plus importante que n’importe quel événement mettant à mal cela ? Quoi qu’il en soit, alea jacta est. Bons jeux !