D'un petit écran rectangulaire à l'église. Le gaming est un formidable vecteur de rencontres, de toutes sortes. Dans son premier article pour Parresia, Alexandre nous offre son regard sur une industrie qui est devenue un véritable catalyseur de communautés. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Nous sommes à la fin de la seconde guerre mondiale. Après une période de conflits catastrophiques sur tous les plans, la guerre a laissé dans son sillage des avancées majeures dans différents domaines de la science. Nous sommes alors aux prémices d’une des plus grandes révolutions du 20ème siècle… L’avènement de l’ordinateur qui engendrera ensuite Internet tel que nous le connaissons.
Dès la fin des années 40, on peut déjà trouver les premiers prototypes de jeux vidéo. Cependant, ils n’avaient pas vraiment le même objectif. Si pour nous les jeux vidéo sont avant tout ludiques, ils avaient à l’origine pour fonction de servir de programme d’entraînement et d’aide à la recherche dans certains domaines tels que l’intelligence artificielle. Il faudra attendre 1958 pour voir apparaitre l’un des premiers jeux vidéo destinés au divertissement. Alors au début c’était assez limité, on avait droit à un écran pixélisé au possible qui essayait tant bien que mal d’afficher une barre sur chaque côté de l’écran et une petite balle qui se balançait d’un coin à l’autre. Un max de divertissement quoi. Le gros problème à ce moment-là est que les ordinateurs sont beaucoup trop chers pour le grand public et surtout essentiellement réservés à des fins professionnelles. Peu de jeux émergent durant une grosse dizaine d’années même si ceux-ci rencontrent un certain succès dans les universités américaines et sur le continent américain.
C’est en 1971 que l’histoire du jeu vidéo prend un premier tournant. L’Atari, une console vidéo de salon, se commercialise d’abord sur le marché américain et va ensuite se propager dans énormément de foyers européens pour enfin finir par un succès mondial. Tout doucement, d’autres plateformes vont être créées afin de permettre à plus de monde d’avoir accès aux jeux vidéo ; bornes d’arcades, multiplications de consoles fixes, premières consoles portables… C’est en 1978 que Nintendo débarque sur le marché du jeu vidéo et va établir son hégémonie avec ses nouvelles consoles et ses jeux emblématiques qui vont marquer la licence et le monde. Quand on vous parle de Mario, vous savez de qui on parle. On voit ce petit moustachu qui saute partout pour récupérer des pièces et sauver la princesse Peach de ce méchant Bowser. Nintendo c’est plus de 40 ans d’histoire qui peut être comparé à Disney en terme de success story ! Rien que ça ! Évidemment, voyant le succès économique grandissant, différentes entreprises se lancent à leur tour dans cette industrie du loisir. Malgré des hauts et des bas, que cela soit commerciaux ou artistiques, les jeux vidéo ont continué à beaucoup évoluer au fil des années. Tout d’abord d’un point de vue économique, on est passé des consoles de jeux hors de prix à un objet de plus en plus accessible. La concurrence sur le marché entre les États-Unis et le Japon va entrainer la démocratisation de nombreux jeux afin d’attirer le plus de public. Ensuite d’un point de vue technique, les cartouches ont laissé place aux CDs. Les jeux en 2D ont évolué vers la 3D avec l’arrivé de la Playstation. Et la communauté de gamers a de plus en plus grandit même s’il n’était pas encore possible de jouer en ligne comme aujourd’hui.
Il faudra attendre 1997 pour avoir le premier jeu vidéo en ligne, nous sommes alors au deuxième tournant majeur du jeu vidéo. Imaginez-vous ? Vous avez des millions d’enfants, d’adultes qui chaque jour se divertissent sur leurs consoles, que cela soit chez eux, dans la rue, à l’école, ou dans les transports et qui jouent majoritairement seuls et sans interaction direct avec d’autres personnes dans le même jeu. Et là vous arrivez, et vous leur dites ; dorénavant peu importe où vous vous trouvez dans le monde, vous pouvez jouer, échanger, rencontrer, découvrir et explorer des univers entiers de possibilités à travers le jeu vidéo. Avec l’arrivée d’Internet, on va avoir de plus en plus de plateformes, de technologies, de jeux, qui vont se propager et alimenter les rêves et les aspirations des jeunes générations qui ont vécu ce changement de paradigme.
Aujourd’hui, les jeux vidéo représentent la première industrie de divertissement au monde, devant le cinéma et la musique. Désormais le loisir le plus consommé au monde est le jeu vidéo, mais c’est également l’un des modèles de communauté le plus important et le plus influent pour beaucoup de jeunes et de moins jeunes, hommes ou femmes, dans le monde. Mais quelle est cette communauté, comment a-t-elle vu le jour et comment s’est-elle développée à travers le temps ?
Après cette brève introduction sur l’histoire du jeu vidéo, il m’est directement apparu que depuis sa naissance le jeu vidéo est destiné à être social. Dès les premiers jeux que l’on recense dans une petite université américaine en 1958, au plus gros succès mondial d’aujourd’hui, il y a un désir avant tout que le jeu vidéo soit un endroit d’échange, de partage, de compétition et parfois d’entraide. Que cela soit en un contre un sur la même console avec une petite manette comportant deux touches, ou que cela soit en mille contre mille en ligne avec un clavier et une souris dernier cri.
D’ailleurs tout au début, on retrouve déjà les jeux vidéo dans des endroits publics comme les cafés, les luna-parks. On peut apercevoir à travers les petites vitres d’un café Bruxellois, une petite communauté d’habitué.e.s qui sont déjà regroupé·e·s autour de ce loisir bien avant l’explosion planétaire du jeu en ligne. Bien que les joueur.euse.s ne se connaissent pas, qu’iels ne soient pas issus du même quartier, de la même culture ou de la même condition sociale, il va naitre, le temps parfois d’un instant, un sentiment d’appartenance et de convivialité à travers le jeu vidéo. Petite anecdote personnelle, mais certain.e.s se reconnaitront peut-être. Quand tu es enfant, et que tes parents font leurs courses et qu’après 10 minutes à avoir demandé, ils te laissent enfin aller jouer au rayon jeu vidéo, c’est le plus beau jour de ta vie ! Tu arrives dans le rayon et tu vois les autres enfants agglutinés devant la seule console du magasin. Tu peux être sûr qu’ils attendent tou.te.s leur tour pour jouer. À ce moment-là, il n’y a plus de frontière de langue, de culture, de religion,… Tout le monde se met d’accord et joue avec tout le monde dans un silence religieux. Je me suis surpris à essayer de parler Néerlandais, alors que j’en avais horreur, pour discuter de jeux vidéo et échanger mes trucs et astuces pour finir Mario Bros. Quelle était cette magie ?
Cette magie je vais la retrouver peu de temps après avec mes premiers jeux vidéo en ligne. Quand tu arrives à l’école, tu ne sais pas bien qui est qui. Il y a une période d’adaptation, tu regardes les autres de ta classe et parfois tu t’ouvres, tu te risques à partager une passion. Beaucoup de jeunes jouent au foot, je joue donc au foot. C’est cool, mais j’ai envie également de parler de ce que j’ai vu à la télé ou de ce que j’ai pu expérimenter quelques instants dans le supermarché. C’est alors que j’ose m’ouvrir, et aborder le sujet du jeu vidéo. Directement, il y a des visages moqueurs ou des visages qui se ferment mais heureusement il y a également des visages qui s’ouvrent et qui s’illuminent. Ce sont ceux de mes amis.
D’un moment où nous sommes des inconnus l’un pour l’autre, on devient des inconnus connus. Un lien se créé directement entre nous et nous devenons inséparables. Et le lien qui nous anime c’est notre passion commune pour les jeux vidéo. Bien qu’encore impopulaire et stigmatisé, les communautés de joueur.euse.s sont de plus en plus nombreuses au sein de mon école au fil du temps. Les jeux vidéo ont souvent été, et reste vus d’un mauvais œil par les médias, par les parents, par les professeur·e·s, et même par les chercheur·euse·s. Souvent décrié comme créant de l’addiction, encourageant parfois à la violence et véhiculant du harcèlement massif, il reste à nuancer que c’est souvent pour fuir une réalité qui en est souvent imbibé que l’on se réfugie dans le jeu vidéo. Je me rend compte qu’avec mon groupe d’amis, nous sommes régulièrement moqués pour les jeux auxquels nous jouons. Cela m’a permis également de comprendre qu’il existait différentes communautés de joueur.euse.s et que l’une n’est pas spécialement bienveillante envers l’autre. Malgré cela nous nous réunissons chaque jour après les cours pour jouer, découvrir et nous émerveiller sur nos jeux vidéo préférés.
Jusqu’au moment où on s’est également rendu compte qu’on n’était pas seul. Que cela soit sur Youtube à l’époque ou sur Twitch aujourd’hui, des milliers de personnes ont commencé à jouer, à streamer, à partager leur passion autour des jeux vidéo. Au début il y avait très peu de contenu sur les réseaux mais d’un coup il y a eu une effervescence. Autour du jeu vidéo s’est alors créé un véritable engouement et beaucoup de personnes y ont vu un moyen de se détendre, de créer, de pouvoir rêver, et même de pouvoir vivre autrement.
Le phénomène de communauté autour du jeu vidéo n’est donc pas tout jeune et surtout il n’est pas unique. C’est un phénomène qui a grandi parmi la génération de mes parents et qui s’est transmis comme une étincelle dans un ballot de paille. Le feu a pris et les jeux impopulaires d’un temps sont devenus des phénomènes mondiaux. L’E-sport est apparu valorisant ainsi la profession de joueur.euse.s professionnelles permettant à des passionnés de vivre de leur passion. La communauté bouillonnante autour des jeux vidéo a alors attiré l’attention…
Beaucoup de chercheur.euse.s en Anthropologie et en Sociologie se sont petit à petit intéressé.e.s au monde du jeu vidéo suite à l’arrivé des jeux en ligne. Bien qu’une communauté de gamers était déjà présente avant Internet, il faut reconnaitre qu’elle s’est considérablement développée grâce aux réseaux sociaux et à la possibilité d’interagir en temps réel avec d’autres joueur.euse.s. Beaucoup de recherches ont été menées notamment sur les MMORPG (massively multiplayer online role-playing game) ou jeu de rôle en ligne massivement multijoueur. Dans ces jeux, chaque joueur·euse incarne un personnage représenté sous forme d’avatar. Le ou la joueur·euse a le choix de le nommer, de l’identifier, de le personnaliser comme il le désire. Ensuite, iel est libre de se promener dans ce monde virtuel où certaines règles sont définies et d’autres sont encore à définir.
Après des années de recherches sur le jeu vidéo WoW (World of Warcraft), Olivier Servais (Professeur et chercheur en sociologie à l’UCL) explique que le jeu en lui-même n’est plus considéré comme un jeu pour beaucoup de joueurs, mais il devient un lieu où le jeu peut advenir. La majorité des joueurs qui continuent à se connecter chaque jour, chaque semaine voit le jeu plus seulement comme un loisir mais fait partie intégrante de sa vie. Au travers des « guildes », des « quêtes », des rencontres virtuelles mais également des rencontres IRL (« In real Life » ou « dans la vie réelle »), les joueurs se construisent une sociabilité et un réseau social qui dépasse le monde du jeu vidéo. Alors là si vous n’êtes pas un·e habitué.e, je vous ai perdu. Qu’est-ce que c’est qu’une « guilde » ? En fait, dans chaque jeu de type MMORPG, les communautés ont un nom différent. Au Moyen-Âge, une guilde était un lieu où se réunissaient les maitres et les apprentis pour que les apprentis apprennent le métier d’artisan. Dans les communautés virtuelles il y a des experts et des débutants qui s’accrochent petit à petit à la guilde et bénéficient du savoir des experts. La guilde a un nom, un emblème, une identité, une appartenance et surtout représente un collectif pour beaucoup, une famille pour d’autres. Souvent, le but dans un MMORPG est de remplir des quêtes avec sa guilde afin de faire évoluer son avatar et de parcourir le monde virtuel dans lequel le jeu prend racine.
Cependant, ce sentiment de communauté créé par le jeu, peut conduire à une très forte dépendance au jeu lui-même. Bien évidemment les modèles de styles de jeu mettent en évidence que les raisons de jouer sont multiples et de ce fait les attentes et les valeurs sont diverses et variées. Cependant, nous pouvons ici relever certaines tendances par rapport au MMORPG. Tout d’abord, le jeu vidéo peut être considéré comme un échappatoire au monde actuel, certain·e·s joueur·euse·s n’ayant pas une situation sociale valorisante en dehors du jeu. Ensuite, il y a également une certitude de ce que l’on va trouver dans le monde du jeu vidéo contrairement au monde IRL. L’interdépendance des joueurs dans un jeu en ligne comme WoW fait en sorte de créer un sentiment de responsabilité, de valorisation et d’accomplissement quand on réussit une « quête » ou que l’on est félicité·e par la « guilde ». Enfin, le fait que le monde soit subsistant (se déroule en temps réel) fait que le jeu est en perpétuel évolution et qu’il évolue rapidement avec ou sans le joueur. Cela force fatalement les joueurs à être assidus mais également à se tenir informés en permanence de ce qui se passe dans le jeu.
Alors oui, ce sont des endroits où naissent parfois beaucoup de dérives, beaucoup de perversités comme un exutoire d’une société trop normée qui rejette ou catégorise la différence. L’exemple de Second Life en est la preuve. Qu’est-ce que c’est Second Life ? C’est un jeu subsistant en 3D apparu en 2003 et qui recrée globalement le monde tel qu’on le connait mais en amplifiant toutes ses dérives. Ce jeu permet à ses utilisateur·ice·s d'incarner des personnages virtuels dans un monde créé par les résidents eux-mêmes. Malgré tous ses défauts, le jeu vidéo est également un endroit où l’on peut tout réinventer, tout reconstruire, tout imaginer. C’est également un endroit où l’on peut rencontrer des amis et même tomber amoureux. Avant de finir, je voulais vous partager une anecdote que j’ai entendue et qui m’a beaucoup touché. Deux personnes se sont rencontrées sur un serveur de WoW lors d’une quête avec leur guilde. Après des années de complicités virtuelles, ils ont décidé de se donner rendez-vous IRL. Après coup, ils ont fait part de leur stress avant de rencontrer l’autre. Un peu comme des amants épistolaire, les deux personnes se sont retrouvées pour la première fois dans un café après tant de moments partagés ensemble virtuellement. Tout de suite quand iels se sont vus, iels sont tombé·e·s amoureux·se·s et ont décidé peu de temps après de se marier. Quand les membres de la communauté auxquels ils appartenaient ont appris la nouvelle, non seulement ils ont tou.te.s participé.e.s au mariage IRL, mais surtout le plus grand moment pour le couple a été le mariage à l’église… dans le jeu.
Comme beaucoup de joueur.euse.s, j’ai commencé les jeux vidéo pour m’amuser. Ils m’ont permis de rêver, de m’échapper, de grandir et de découvrir certaines facettes de ma personnalité. Cependant, j’en ai également beaucoup souffert, non pas à cause des jeux mais des personnes qui les stigmatisaient. Ironie du sort, ce qui est à la mode aujourd’hui ce sont les jeux vidéo auxquels je jouais quand j’étais petit. Il suffit de voir également la série Stranger Things qui parle de cette communauté avec beaucoup de bienveillance. Aujourd’hui, je n’ai jamais vu une communauté aussi grande et qui propage autant d’amour et de passion pour ce qui la fait vibrer. Alors oui il faut nuancer, quand on parle de cyber harcèlement, de dépendance et d’addiction, ça fait partie d’une réalité pour beaucoup de monde également. Mais un peu comme une réplique de la société, les jeux vidéo doivent être entourés de bienveillance pour voir apparaitre un monde meilleur. L’aventure des jeux vidéo a commencé dans un contexte d’après-guerre, où finalement on ne l’attendait pas… Il se pourrait bien qu’armé de valeurs, de bienveillance et de respect, les jeux vidéo du futur puissent en empêcher bien d’autres d’advenir…