Phénomènes isolés ou problèmes structurels ? Le débat est le même à chaque nouveau cas de violences policières. Alexandre nous offre une analyse sur les causes structurelles de ce fléau. Au programme : la police comme bras armé de l'état, ses racines racistes, effectifs, formations et moyens.
Depuis quelques années, on assiste à une recrudescence de violences policières toujours plus brutales et marquantes. Que cela soit dans notre pays ou dans les pays voisins comme la France ou l’Allemagne, la police a depuis longtemps perdu sa légitimité aux yeux d’une partie de sa population. Cela est également le cas aux Etats-Unis où chaque semaine sont recensées des violences racistes, xénophobes et sexistes provoquées par la police partout sur le territoire.
Depuis 2019, à la suite du meurtre de Georges Floyd, un homme noir, tué par un policier blanc, le mouvement Black Lives Matter s’est répandu aux Etats-Unis et à travers le monde. Peu de temps après, en France, l'affaire Michel Zecler fut fortement médiatisée. Michel Zecler, un homme noir, subit une agression violente de la part de policiers parisiens. En France, les actions musclées de la police envers les Gilets jaunes marquent également l'actualité. En Belgique, en 2021, Ibrahima Barrie décède dans des circonstances floues dans un commissariat. Ces divers événements, largement débattus dans les médias, ont modifié la perception du public à l'égard des forces de l'ordre.
En Belgique, l’image de la police semble plus divisée que jamais. Les médias et l’institution policière tendent à renvoyer ces abus de violence à des causes individuelles. Ainsi, la police incrimine très rarement la responsabilité collective comme source importante de ces violences systémiques sur une population marginalisée. Afin de comprendre plus en profondeur les causes des violences policières, nous essayerons dans cet article de repartir des fondements d’une institution qui semble plus que jamais avoir besoin de changement.
Depuis son indépendance, l’institution étatique belge fonctionne sur base de trois grands piliers. Le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
Ces trois formes de pouvoirs s’organisent de concert afin d’établir les lois, d’appliquer les lois et de punir en fonction de leur non-respect.
La police est l’instance matérialisée du pouvoir judiciaire qui contrôle et punit au service de la loi et, par conséquent, elle répond aux attentes des demandes politiques. Le degré de répression qu’elle a le droit d’exercer sur sa population est défini en théorie de manière structurelle par la loi. On dit alors que la police a le monopole de la violence « légitime ».
Lorsque, dans les années 1880, elle fut autorisée à dissoudre des grèves ouvrières par la force sur ordre des politiques et des patrons d’usines (qui étaient souvent les mêmes personnes), le sang coulé tachera jamais sur les mains de la police.
Ce fut pareil lors des manifestations en 2015 pour le mouvement des gilets jaunes, ou encore lors des descentes et des contrôles d’identité quotidiens qui finissent par causer des dommages irréparables. Entre Gaz lacrymogène, Grenade à Main de désencerclement, développement de combinaisons anti-émeute, l’armement de la police n’a jamais autant ressemblé aux équipements militaires.
En France comme en Belgique, on assiste à un déploiement toujours plus important de l’équipement de la police et à un renforcement des armes dans les zones dites « sensibles ». De plus, le corps politique européen semble imposer à la police une culture du « résultat », idée que nous devons à Sarkozy qui l’a mise en place en 2006. Il faut montrer que la police est efficace, car elle coûte de l’argent public. Il faut donc maximiser les contraventions et arrestations pour des délits « rentables » comme la consommation de stupéfiants ou le défaut de papier d’identité. Entre injonctions chiffrées et accumulation de missions, la police s’épuise et se retranche dans ses réserves tandis qu’en face, les citoyen.nes apprennent à se méfier des risques des contrôles d’identité, des contraventions ou arrestations qui semblent toujours plus nombreuses. En France, plus de 861 personnes sont mortes entre 1977 et 2022 à la suite d’une intervention policière. D'après une enquête du Défenseur des Droits datant de 2017, dans la population française générale, 16% des personnes déclarent avoir été contrôlées au moins une fois au cours des cinq dernières années. Lorsqu’on pose la même question aux hommes de moins de 25 ans perçus comme Noirs ou Arabes, le taux grimpe à 80% !
Comme on peut le constater, la cause des violences policières est en partie structurelle et elle répond finalement à des attentes politiques. Elle stigmatise et se concentre sur une partie de la population pour certains délits bien spécifiques, ce qui entraîne une montée de la violence et de la méfiance entre les deux principaux acteurs de terrain que sont la police et les jeunes de quartiers défavorisés. Comme on peut le voir, les violences policières ont également une origine structurelle économique et statistiquement ethnique. Quelle est l’histoire qui se cache derrière cette tendance macabre et raciste ?
Lorsque l’on parle de racisme systémique au sein de la police, il faut également remonter tout en haut de la hiérarchie du corps étatique et policier. Les fondements mêmes de notre société sont basés sur un sentiment d’appartenance nationaliste qui est véhiculé dans chaque couche des institutions de l’état. La police et l’armée sont d’autant plus marquées par cette appartenance nationaliste, car elles forment le corps, le bras armé de l’état et représentent ses valeurs. De plus, en intégrant la police, les hommes et les femmes jurent fidélité à leur pays et protection aux citoyen.nes, un dévouement complet pour une cause qui leur semble juste.
Mais qu’elles sont les valeurs des policier.ères ? Pour ce faire, je vous propose d’observeur leurs tendances électorales. Au sein de la population policière, il y a un ancrage électoral fortement de droite. Depuis toujours, que cela soit en France ou en Belgique, les policiers ont une tendance à se rapprocher de l’extrême- droite, tendance qui est d’autant plus accentuée lorsque les policier.ères ont peu de qualifications. Ce sont d’ailleurs ces mêmes agents de police que l’on peut retrouver dans les rues à patrouiller en plein Schaerbeek.
De plus, il semble selon différentes études que le pouvoir et l’autorité que l’on confère à des personnes afin d’en surveiller d’autres peut faire changer des comportements voire les rendre extrêmes. On peut citer par exemple l’expérience de Stanford qui a eu lieu aux Etats-Unis. Elle impliquait la participation d'étudiants assumant les rôles de gardiens et de prisonniers, dans le but d'explorer le comportement de personnes ordinaires dans un environnement carcéral simulé. Cette étude a révélé que c'était davantage la situation elle-même que la personnalité autoritaire des participants qui influençait les comportements, parfois contraires aux valeurs déclarées par ces derniers avant le début de l'expérience. Les 18 sujets, sélectionnés pour leur stabilité et leur maturité, ont été assignés aléatoirement en tant que gardiens ou prisonniers. Chaque participant était conscient que cette attribution de rôles était purement le fruit du hasard, sans lien avec des prédispositions psychologiques ou physiques. Ainsi, un gardien aurait tout aussi bien pu être un prisonnier, et vice-versa. Les prisonniers et les gardes se sont rapidement adaptés à leurs rôles, dépassant les limites prévues et générant des situations réellement dangereuses et psychologiquement préjudiciables. L'une des conclusions de l'étude souligne qu'un tiers des gardiens ont manifesté des comportements sadiques, tandis que de nombreux prisonniers ont subi des traumatismes émotionnels, obligeant même le retrait anticipé de deux d'entre eux de l'expérience.
Ce que je vous invite à retenir de cette expérience, c’est la facilité avec laquelle on peut être en contradiction avec nos valeurs lorsque l’on est dans une situation de pouvoir et d’autorité face à autrui. On peut alors imaginer à quel point des personnes qui manquent déjà de bienveillance envers une partie de la population peuvent avoir des comportements extrêmement violents. Le racisme systémique au sein de la police est là… Mais que fait la police pour contrer ce racisme ?
Aujourd’hui en Belgique, la durée de formation pour un agent de police standard est de 6 mois. Pour accéder à cette formation, il faut acquérir un CESS ou une équivalence et ensuite passer deux tests bien spécifiques. Un premier test psychologique qui tend à évaluer des aptitudes cognitives basé sur du raisonnement abstrait, l’utilisation effective d’informations et le raisonnement numérique. Le deuxième est un test physique qui évalue l’endurance et la capacité physique du policier. Après ces tests, les apprentis policiers entrent en formation pendant 6 mois durant lesquels ils vont alterner théorie et pratique. À la fin de ce cycle de formation, ces jeunes policiers sont envoyés dans des « zones », souvent sur Bruxelles où ils vont apprendre le métier avec des agents plus expérimentés.
Après plusieurs années, j’ai eu la chance de rester en contact avec mes amis de l’école secondaire. Chacun et chacune a eu une trajectoire de vie différente. Deux d’entre eux ont décidé de rentrer dans la police. Ainsi, j’ai pu à de nombreuses occasions entendre leur récit de vie et de formation en tant que policier à Bruxelles. Ils m’ont entre autres parlé d’une formation à la non-discrimination et des campagnes internes à la police pendant leur cursus. Cependant, cela suffit rarement à changer les opinions d’une personne, d’autant plus lorsque ces mêmes personnes sont en position d’autorité et brandissent un droit d’intervention. L’autorité et le pouvoir que l’on donne aux policiers interrogent et semblent conduire inévitablement à des comportements violents.
En voyant le parcours d’un de mes amis policiers, je me suis toujours effrayé de constater à quel point la formation est courte, rapide et finalement, très peu adaptée à la réalité de terrain. Avec un nouveau quartier à découvrir, une politique du chiffre qui te pousse à intervenir ou à réaliser des shifts dans des conditions de fatigue intense, et une population qui semble de plus en plus avoir peur de toi ou réagir de manière défensive, la violence éclate souvent. Le manque de moyens donné, engendre un manque d’effectif, ce qui qui n’est absolument pas contre -balancé par une formation de qualité qui apprendrait à comprendre, analyser, discuter et résoudre les conflits. Ce sont ces dernières compétences qu’il faudrait avant tout transmettre aux agents de police au lieu de leur apprendre directement à tirer ou à lutter en manifestation.
Les causes structurelles des violences policières sont des sujets difficiles à aborder et qui manquent souvent de nuances qu’en a la responsabilité des hommes et des femmes derrières ces uniformes.
Est-ce que l’uniforme révèle et amplifie l’homme qui se cache derrière ou transforme-t-il l’homme jusqu’à l’aliéné de ses propres valeurs ?
Cette question nous invite à réfléchir si un policier a en lui ces violences, ces discriminations, ce rejet de l’autre, avant même d’entrer en fonction. Cette question est fondamentale car elle permettrait de comprendre et d’agir en profondeur sur les causes des violences structurelles.
Dans le cas où l’on tendrait à répondre oui, cela impliquerait de revoir intégralement le système de recrutement et de formation au sein de la police. De plus, cela questionnerait aussi la responsabilité de tout la société en elle-même,
Comment avons-nous permis à ces hommes et à ces femmes de se remplir de violence et de haine ?
Dans le cas où l’on répondrait non, cela confirmerait à quel point le pouvoir changent les individus. Il faudrait donc abolir ou radicalement changer l’usage de ces uniformes, quelque chose qui semble tout de même difficile mais pas impossible.
Alors oui, il ne faut pas rejeter intégralement la faute des violences policières sur une institution malade mais il ne faut pas également rejeter toute la faute sur les policier.ères. Cependant, bien que cet article traite des violences structurelles et questionne aussi bien la responsabilité collective que individuelle, aujourd’hui accuser une structure avant les hommes et les femmes en premières lignes semble inaudible par rapport à la si faible reconnaissance des violences subies. Un travail énorme doit être fait au sein du système policier afin de reconnaitre et d’accepter les torts causés. Cela doit être fait à chaque niveau de pouvoir et commencer dès maintenant. Malheureusement cette conscientisation manque encore cruellement et les politiques ne désirent pas entacher leur réputation. Il faudrait également entamer un processus de réparation qui serait d’autant plus important pour permettre à l’institution de rebâtir une relation de confiance et de respect avec la population meurtrie. Le travail est immense et semble encore bien loin des préoccupations journalières…
À travers cet article, j’aimerai vous inviter à aiguiser votre esprit critique. À vous indigner et à vous mobiliser de la meilleure des manières contre ces violences qui sont que trop fréquentes. Il faut nous saisir de l’outil politique accompagné de nos valeurs afin de changer les choses et refuser ce cycle de haine et de violence.
Notre travail en tant qu’Ambassadeur.rices pour cette thématique ne fait que commencer, et nous avons besoin du meilleur de nous-mêmes pour continuer faire entendre notre voix !
Sources:
[1] https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/2022/08/18/la-police-denonce-les-manques-deffectifs-et-de-moyens-pour-le-proces-des-attentats-a-bruxelles-ce-proces-qui-va-durer-9-mois-va-etre-tres-energivore-BJKLLIS4ENFBXKDBRLXYHMKGVU/
[1] https://bastamag.net/webdocs/police/
[2] https://wiki.datagueule.tv/Violences_policières,_ensauvagement_politique_(EP._99)
[3] https://www.liberation.fr/checknews/2020/06/10/est-il-vrai-que-les-policiers-et-gendarmes-votent-a-75-pour-l-extreme-droite-comme-le-dit-melenchon_1790710/
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Expérience_de_Stanford
[5] https://concours-formation.fr/tests-police-belge/