En France, rentrée des classes rime avec nouvelle polémique. Cette fois, ce sont les robes jugées trop amples des jeunes élèves qui posent problème. Qu’en est-il de la situation chez nous ? À l’heure où le sensationnalisme de la vidéo devient la norme, Parresia te partage les témoignages écrits pleins de courage de deux anciennes élèves du Lycée Émile Jacqmain. Ne rate pas l'article : discours politiques contradictoires, discrimination dans les écoles bruxelloises et effet Streisand au programme.
Le décor est planté. Il est 20 heures. Les lumières sont vives mais chaleureuses. Le ton, lui, est sévère. Dans le fond se distingue la tour Eiffel, symbole de la grandeur de ce pays qu’est la France. À l’avant, Anne-Claire Coudray reçoit Gabriel Attal, nouveau ministre de l’Éducation. En mondiovision dans le journal télévisé de la première chaîne de l’Hexagone, la question critique de l’abaya doit être tranchée.
« La laïcité, c’est pas une contrainte, c’est une liberté » assure l’homme politique. Une liberté qui le mène quelques secondes plus tard à trancher : les étudiant·e·s ont dorénavant l’interdiction de porter à l’école ce fameux vêtement traditionnel qui consiste en une longue robe ample.
Cette soirée du 27 août restera gravée comme un nouveau chapitre dans le triste livre du recul des libertés et de la stigmatisation de genre et de minorités confessionnelles. Dans la course à l’abject, Emmanuel Macron surenchérit huit jours plus tard au micro d’Hugo Travers. Sur cette même question de l’abaya, le président de la République indique qu’« on peut pas faire comme si y avait pas eu l’attaque terroriste et l’assassinat de Samuel Patty dans notre pays ». Ce parallèle intolérable est d’autant plus risible lorsque l’on se souvient de son discours digne d’un show politique à la Mutualité en juillet 2016. Dans celui-ci, l’ancien ministre de l’Économie expliquait alors qu’il ne croyait pas qu’il faille « inventer de nouveaux textes, de nouvelles lois, de nouvelles normes […] pour aller traquer, dans les sorties scolaires, celles et ceux qui peuvent avoir des signes religieux. » Selon lui, « c’est l’erreur à ne pas faire [car] ce combat, ça n’est pas un combat de la laïcité contre une religion puisqu’il faut la nommer, l’Islam. Ça n’aurait aucun sens. Ce serait une erreur fondamentale ! »
Moins de dix ans plus tard, cette erreur fondamentale est en train d’être commise sous son propre régime. Après les discours, viennent les actes. Policier·ère·s jouant les physionomistes à l’entrée des écoles, jeunes filles renvoyées chez elles pour « tenues inadaptées » et jeu de devinettes entre robes de haute couture et abaya sont autant de scènes surréalistes qui ont rythmé la rentrée scolaire française.
Les guéguerres entre Français et Belges ne sont pas nouvelles. Ces dernières années, c’est sur les terrains de football que la rivalité entre ces deux pays limitrophes a été la plus virulente. Les arguments des deux frères et sœurs chamailleur·euse·s restent néanmoins les mêmes peu importe le contexte. D’un côté, les Belges reprochent aux Français leur chauvinisme et leur arrogance. De l’autre, ces derniers prétendent que la Belgique n’est qu’une pâle copie miniature de l’Hexagone. Au vu des derniers évènements, difficile de leur donner tort sur ce point…
Ce n’est pas nouveau, le système scolaire belge connaît plusieurs problèmes. Parresia a déjà abordé l’impact de la connivence entre le milieu de l’enseignement et les pratiques managériales des grands cabinets de conseil. D’autres éléments posent questions comme la compétition instaurée entre les élèves. Dans plusieurs écoles secondaires de la ville de Bruxelles, la cérémonie de proclamation à la fin de la rhéto est perçue par nombreux·se d’entre elleux comme une humiliation orchestrée… Livret reprenant les résultats de tous·tes les élèves de l'école remis à chacun·e, classement nominatif des élèves par ordre décroissant et hiérarchie de valeur des sections sont autant de violences symboliques que doivent subir les jeunes diplômé·e·s le jour qui marque la fin de leur parcours scolaire obligatoire.
Malgré cela, sur le plan de la tolérance, on pouvait penser que les polémiques sur les convictions religieuses, propres à la France, ne risquaient pas d’arriver chez nous… C’est sans compter sur Nadia Geerts qui, le lendemain de l’annonce de l’interdiction de l’abaya dans les écoles en France, publie une opinion dans La Libre dénonçant une « mainmise religieuse [qui] s’exerce sur le campus [de l’ULB] » après avoir découvert que des étudiant·e·s ont mis en place un petit coin pour se recueillir spirituellement derrière une cage d’escalier au bout d’un couloir désaffecté du lieu de vie étudiant. Premier pas vers le modèle polémique français. Malheureusement pas le dernier…
Plusieurs échos d’incidents au sujet de la tenue de jeunes filles au sein d’écoles secondaires bruxelloises nous sont parvenus. Nous avons d’ailleurs pu récolter les témoignages de deux anciennes étudiantes du Lycée Émile Jacqmain. Celles-ci y ont récemment vécu des discriminations humiliantes motivées par leur confession et ont tenu à prendre la parole à ce sujet.
Les faits remontent à la cérémonie de proclamation du mois d’août. Alors que des incidents ont déjà eu lieu dans le passé (refus d’accès au bal de promos en dehors de l’établissement justifié par le port du voile de la jeune fille en question et encadrant ordonnant au regard de tous·tes à une autre élève de retirer sa casquette pour entrer dans un musée en voyage scolaire à l’étranger sans raison pertinente et ce malgré un accord au préalable), ces deux jours à l’importance symbolique ont été vécus comme des coups de grâce par les deux élèves qui nous ont raconté leur histoire.
La première s’est vu refuser l’entrée à sa propre remise des diplômes en raison de sa tenue vestimentaire jugée inadaptée : un pantalon, un haut et un kimono, ce dernier étant jugé comme un vêtement culturel. La jeune fille a été contrainte d’enfiler un pull prêté par une de ses professeur·e·s pour participer à la cérémonie. Alors que ce moment est censé être le couronnement joyeux de sa vie scolaire, elle s’est sentie extrêmement gênée et humiliée et désirait uniquement quitter cet endroit au plus vite.
Même école, même expérience pour une de ses camarades. Le jour des résultats, celle-ci n’a pas eu l’autorisation d’entrer au sein de l’établissement pour découvrir son sort. Même si son voile était retiré, la robe deux pièces achetée en Belgique (incroyable d’en arriver à préciser cela) qu’elle portait en ce jour n’était pas au goût de la préfète de l’établissement qui estimait que sa tenue « représente une certaine ethnie, une certaine culture »… La jeune fille et sa sœur qui l’accompagnait ont pourtant expliqué que le règlement d’ordre intérieur ne mentionne aucunement le concept de « tenue culturelle » mais ont fait face au refus catégorique de la préfète qui leur a rétorqué qu’elle fixait les règles vu son statut de cheffe d’établissement.
Le lendemain de l’incident avait lieu la cérémonie de remise de diplômes de l’école. Accompagnée de sa sœur, de sa maman et d’une amie, la jeune fille et ses proches se mettent sur leur trente-et-un pour l’occasion. Arrivées au Lycée Émile Jacqmain, elles se font reprocher à plusieurs reprises leurs tenues (robes trop amples au goût de plusieurs encadrant·e·s de l’établissement) malgré le fait que l’élève en question a bien retiré son voile en entrant. Une fois arrivées, on leur barre complétement le chemin et leur indique qu’elles doivent sortir car elles « gâchent le moment pour tout le monde ». Selon la même préfète, « c’est le règlement » alors que rien n’indique dans le ROI que les robes longues sont interdites… Aidée par des professeur·e·s, elle en vient à s’en prendre physiquement au groupe composé de la jeune diplômée et de ses proches pour les empêcher d’accéder à la salle de fête, au point où la maman a failli faire un malaise.
La jeune fille a fini par se changer pour avoir le droit d’accéder à sa remise de diplôme, moment dont a profité ladite préfète pour prononcer un discours rabaissant à l’encontre de celle-ci et de sa maman. Pour aller au bout de l’humiliation, la majorité de l’audience a applaudi ce discours, laissant la mère de famille et ses filles complétement isolées. La jeune diplômée n’est restée que le temps de récupérer son diplôme avant de s’en aller pour fuir ce qui aurait dû être un moment de joie pour elle et ses proches.
Car oui, nous en sommes là. Priver une jeune fille d’un des jours les plus importants de sa vie au motif que sa tenue est trop ample. Difficile de rédiger ce papier sans un brin de dépit. Pour être tout à fait honnête, la question de traiter ces évènements à la fois risibles et scandaleux s’est même posée au sein de notre équipe. Conscients de ne faire qu’alimenter des débats qui n’ont pas lieu d’être, nous ne souhaitions certainement pas contribuer à un effet Streisand, ce phénomène médiatique qui consiste en le fait de rendre des éléments encore plus notoires qu’ils ne le sont déjà alors que l’on aimerait empêcher la viralité de leur propagation.
Loin de l’idée de servir de caisse de résonance aux discours abjects, Parresia fait le choix de traiter de ce sujet car il en a la responsabilité. Celle d’offrir une plateforme à celleux que l’on tente d’invisibiliser. « En partageant mon histoire, j'espère contribuer à une prise de conscience et à un changement positif. L'école devrait être un lieu où chaque élève se sent accepté et respecté, quelles que soient ses croyances ou son apparence. Il est temps de mettre fin à l'islamophobie à l'école et de créer un environnement inclusif pour tous·tes. Je n’ai personnellement pas vécu l’école comme un lieu d’apprentissage, de croissance personnelle et de célébration de la diversité mais j’ai l’espoir de sensibiliser à ce problème persistant et de contribuer à son éradication » nous confie une ancienne élève du Lycée Émile Jacqmain.
Dans une telle situation, la clairvoyance et l’altruisme des propos de cette jeune adulte sont à souligner. Plusieurs leçons peuvent certainement en être tirées par les décideur·euse·s qui s’offrent la liberté d’ouvrir et de fermer les portes de l’éducation à qui bon leur semble. De notre côté, le travail continue. La route sera longue mais il est de notre devoir de les accompagner. Nous ne pourrons jamais accepter que l’apprentissage soit au prix d’une quelconque identité.